L'ordre des mots à travers les langues Etude du Néerlandais

Rémi Gideon/ Inalco - CRIM / IM - Exposé du 1 décembre 2003

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I. Types de langues


On peut classer les langues selon des critères variés comme la parenté génétique, la phonologie, la morphologie ou encore par l'ordre des mots.
Ce qu'on appelle ordinairement " types de langues " sont des constructions artificielles (ou encore modèles métalinguistiques) qui nous aident à classer les langues. Aucune langue ne s'identifie exactement à un type.
Je traiterai dans cet article l'ordre des mots dans la phrase à partir de son mode d'organisation, la syntaxe.

II. Les combinaisons existantes d'ordres des mots à travers les langues :

Tous les ordres de mots sont a priori possibles et représentés dans diverses langues :

SVO (Sujet - Verbe - Objet),
SOV,
OVS,
OSV,
VOS
VSO.

On constate que les ordres SVO et SOV sont représentés dans de nombreuses langues européennes. On en verra des exemples en français et en néerlandais par la suite.

III. Relations entre mots et syntaxe - cas du latin

Il est intéressant de mettre en relation la structure du mot et la structure de la phrase. Le latin est en effet une langue flexionnelle qui indique la fonction du mot par l'intermédiaire d'un suffixe sans recourir à autre chose :
Exemple d'un mot :


Domin-us : le suffixe " us " nous indique que c'est un Sujet (cas nominatif), masculin et singulier.

Exemple d'une phrase: " Le Seigneur aime son fils "

1. Dominus Filium amat = la tournure la plus courante.
NOM ACC V
2. Dominus amat Filium = moins courant.
NOM V ACC
3. Filium amat Dominus = On insiste sur le fait que c'est le Seigneur qui aime le fils ACC V NOM
4. Amat Dominus Filium = Il aime vraiment son fils, le Seigneur
V NOM ACC

Ces quatre tournures sont grammaticalement correctes et plus ou moins équivalentes avec des nuances.
On voit avec l'exemple du latin que l'ordre des mots est tributaire de contraintes inversement proportionnelles à la richesse de la structure du mot.

Une langue flexionnelle comme le latin exercera peu de contraintes sur l'ordre des mots. Ceci ne veut pas dire que l'ordre est complètement arbitraire, d'autant plus, que dans certains cas la désinence peut être équivoque (Templum peut être soit un accusatif soit un nominatif soit un vocatif).
Dans d'autres langues à déclinaisons que le latin, l'ordre des mots est en revanche important. Ceci est encore plus vrai quand il s'agit de langues sans déclinaisons ou avec des systèmes réduits de déclinaisons.

IV. Critère de classement:

Pour classer les langues selon l'ordre des mots, on prend comme référence la phrase déclarative affirmative.

V. Le français :

S V O Exemple : L'étudiant mange la pomme.
Cette première phrase contient les trois constituants fondamentaux :

Un sujet nominal - étudiant
Un verbe transitif direct - mange
Un syntagme nominal COD - la pomme

Dans les exemples suivants, au-delà du temps qui change et de la proposition subordonnée, l'ordre reste le même :

a. Il a mangé la pomme.
b. Elle dit qu'il a mangé la pomme.

En revanche, en français les combinaisons suivantes sont agrammaticales:

c. *mange la pomme l'étudiant / *la pomme mange l'étudiant.


L'ordre des mots en français est donc clairement SVO.
Le français à la différence du latin, ne marque pas les rapports grammaticaux dans les mots, mais dans les relations entre les mots. Ces relations s'expriment par la position des mots dans la phrase.

Pour mémoire, jusqu'au 14e siècle le français était une langue à déclinaisons (flexionnelle), et acceptait volontiers d'autres ordres de mots. A partir du moment où le français perd ses déclinaisons, l'ordre des mots est affecté et le sujet reçoit la première position.

VI. Les langues SOV :

Regardons la phrase déclarative affirmative en japonais:

John-ga Mary-ni hono ya-ta
Jean NOM Marie DAT livre ACC a donné (Jean a donné un livre à Marie).

On peut classifier facilement le japonais comme une langue SOV.

Le néerlandais :

Dans d'autres langues il est quelquefois difficile de juger selon la seule phrase déclarative affirmative. Regardons l'ordre des mots en néerlandais. Si on juge selon notre critère de base, à savoir, la phrase déclarative affirmative, le néerlandais devrait être qualifié pour l'ordre SVO :

S V O Jan eet een appel.
Jean mange une pomme.

Néanmoins, comme en allemand et dans d'autres langues germaniques, l'ordre des mots est fondamentalement SOV. Il nous faudra des preuves pour le démontrer :

1. Les temps composés :

1.1 Le Passé composé :

S V1 COD V2
Jan heeft een appel gegeten.
Jean a une pomme mangé


1.2 Le Futur:
S V1 COD V2
Jan zal een appel eten
Jean (modale) une pomme manger (infinitif)

Dans ces deux cas le verbe sémantique " manger " se trouve dans la deuxième position verbale. La première position est remplie par un auxiliaire ou une modale.


Dans les propositions subordonnées :

Conjonction S COD V
2.1 Omdat Jan een appel eet


Car Jean une pomme mange

C S COD ADV V

2.2 Omdat Jan een appel gisteravond rond 6 uur heeft gegeten (ou =gegeten heeft)
Car Jean une pomme hier soir vers 18h a mangé

3. Les verbes à particule séparable :

geven = donner
aangeven = passer


S V COI COD ADV V
Ik geef Marie mijn boek morgen ochtend aan.
(je passe demain matin mon livre à Marie)
uitgeven = publier

S V O V
"Prisma" geeft woordenboeken uit.
(" Prisma " publie des dictionnaires)
opgeven = renoncer

S V O V
Boris Becker geeft tennis op.
(Boris Becker renonce au tennis)

Dans tous ces exemples du même verbe " geven ", on remarque que malgré le fait que le verbe conjugué se situe en première position dans une phrase déclarative affirmative, le contenu sémantique du verbe se trouve dans la particule détachée en deuxième position verbale.

Conclusion :

Pour conclure cet exemple du néerlandais, nous voyons que le verbe se trouve plus souvent en deuxième position qu'en première position. La tradition générative fournit une hypothèse qui expliquerait l'exception que constitue la situation du verbe néerlandais en première position dans la phrase déclarative affirmative. Selon celle-ci, le verbe se trouve à l'origine après l'objet (c'est-à-dire, là où il devrait être) et il se déplace vers la première position verbale.

L'exemple néerlandais que je viens de décrire est globalement vrai pour les langues de la famille germanique en général.


Bibliographie :

HAEGEMAN, Liliane (1994): Introduction to Government & Binding Theory - 2nd edition. Blackwell, Oxford U.K & Cambridge U.S.A.

MOESCHLER, Jacques et Antoine AUCHLIN (1997): Introduction à la linguistique contemporaine. Armand Colin, Paris, France.

VAN DER TOORN, M. C. (1987): Nederlandse taalkunde (7de druk). AULA (Het Spectrum), Utrecht, Nederland.

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