I. Types de
langues
On peut classer les langues selon des critères variés comme la
parenté génétique, la phonologie, la morphologie ou encore
par l'ordre des mots.
Ce qu'on appelle ordinairement " types de langues " sont des constructions
artificielles (ou encore modèles métalinguistiques) qui nous aident
à classer les langues. Aucune langue ne s'identifie exactement à
un type.
Je traiterai dans cet article l'ordre des mots dans la phrase à partir
de son mode d'organisation, la syntaxe.
II. Les combinaisons existantes d'ordres des mots à travers les langues :
Tous les ordres de mots
sont a priori possibles et représentés dans diverses langues :
SVO (Sujet - Verbe - Objet),
SOV,
OVS,
OSV,
VOS
VSO.
On constate que les ordres SVO et SOV sont représentés dans de nombreuses langues européennes. On en verra des exemples en français et en néerlandais par la suite.
III. Relations entre mots et syntaxe - cas du latin
Il est intéressant
de mettre en relation la structure du mot et la structure de la phrase. Le latin
est en effet une langue flexionnelle qui indique la fonction du mot par l'intermédiaire
d'un suffixe sans recourir à autre chose :
Exemple d'un mot :
Domin-us : le suffixe " us " nous indique que c'est
un Sujet (cas nominatif), masculin et singulier.
Exemple d'une phrase: " Le Seigneur aime son fils "
1. Dominus Filium amat
= la tournure la plus courante.
NOM ACC V
2. Dominus amat Filium = moins courant.
NOM V ACC
3. Filium amat Dominus = On insiste sur le fait que c'est le Seigneur qui aime
le fils ACC V NOM
4. Amat Dominus Filium = Il aime vraiment son fils, le Seigneur
V NOM ACC
Ces quatre tournures
sont grammaticalement correctes et plus ou moins équivalentes avec des
nuances.
On voit avec l'exemple du latin que l'ordre des mots est tributaire de contraintes
inversement proportionnelles à la richesse de la structure du mot.
Une langue flexionnelle comme le latin exercera peu de contraintes sur l'ordre
des mots. Ceci ne veut pas dire que l'ordre est complètement arbitraire,
d'autant plus, que dans certains cas la désinence peut être équivoque
(Templum peut être soit un accusatif soit un nominatif soit un vocatif).
Dans d'autres langues à déclinaisons que le latin, l'ordre des
mots est en revanche important. Ceci est encore plus vrai quand il s'agit de
langues sans déclinaisons ou avec des systèmes réduits
de déclinaisons.
IV. Critère de classement:
Pour classer les langues selon l'ordre des mots, on prend comme référence la phrase déclarative affirmative.
V. Le français :
S V O Exemple : L'étudiant
mange la pomme.
Cette première phrase contient les trois constituants fondamentaux :
Un sujet nominal - étudiant
Un verbe transitif direct - mange
Un syntagme nominal COD - la pomme
Dans les exemples suivants, au-delà du temps qui change et de la proposition subordonnée, l'ordre reste le même :
a. Il a mangé
la pomme.
b. Elle dit qu'il a mangé la pomme.
En revanche, en français les combinaisons suivantes sont agrammaticales:
c. *mange la pomme l'étudiant / *la pomme mange l'étudiant.
L'ordre des mots en français est donc clairement SVO.
Le français à la différence du latin, ne marque pas les
rapports grammaticaux dans les mots, mais dans les relations entre les mots.
Ces relations s'expriment par la position des mots dans la phrase.
Pour mémoire, jusqu'au 14e siècle le français était une langue à déclinaisons (flexionnelle), et acceptait volontiers d'autres ordres de mots. A partir du moment où le français perd ses déclinaisons, l'ordre des mots est affecté et le sujet reçoit la première position.
VI. Les langues SOV :
Regardons la phrase déclarative affirmative en japonais:
John-ga Mary-ni hono
ya-ta
Jean NOM Marie DAT livre ACC a donné (Jean a donné un livre à
Marie).
On peut classifier facilement le japonais comme une langue SOV.
Le néerlandais :
Dans d'autres langues il est quelquefois difficile de juger selon la seule phrase déclarative affirmative. Regardons l'ordre des mots en néerlandais. Si on juge selon notre critère de base, à savoir, la phrase déclarative affirmative, le néerlandais devrait être qualifié pour l'ordre SVO :
S V O Jan eet een appel.
Jean mange une pomme.
Néanmoins, comme en allemand et dans d'autres langues germaniques, l'ordre des mots est fondamentalement SOV. Il nous faudra des preuves pour le démontrer :
1. Les temps composés :
1.1 Le Passé composé :
S V1 COD V2
Jan heeft een appel gegeten.
Jean a une pomme mangé
1.2 Le Futur:
S V1 COD V2
Jan zal een appel eten
Jean (modale) une pomme manger (infinitif)
Dans ces deux cas le verbe sémantique " manger " se trouve dans la deuxième position verbale. La première position est remplie par un auxiliaire ou une modale.
3. Les verbes à
particule séparable :
geven = donner
aangeven = passer
S V COI COD ADV V
Ik geef Marie mijn boek morgen ochtend aan.
(je passe demain matin mon livre à Marie)
uitgeven = publier
S V O V
"Prisma" geeft woordenboeken uit.
(" Prisma " publie des dictionnaires)
opgeven = renoncer
S V O V
Boris Becker geeft tennis op.
(Boris Becker renonce au tennis)
Dans tous ces exemples du même verbe " geven ", on remarque que malgré le fait que le verbe conjugué se situe en première position dans une phrase déclarative affirmative, le contenu sémantique du verbe se trouve dans la particule détachée en deuxième position verbale.
Conclusion :
Pour conclure cet exemple du néerlandais, nous voyons que le verbe se trouve plus souvent en deuxième position qu'en première position. La tradition générative fournit une hypothèse qui expliquerait l'exception que constitue la situation du verbe néerlandais en première position dans la phrase déclarative affirmative. Selon celle-ci, le verbe se trouve à l'origine après l'objet (c'est-à-dire, là où il devrait être) et il se déplace vers la première position verbale.
L'exemple néerlandais que je viens de décrire est globalement vrai pour les langues de la famille germanique en général.
Bibliographie
:
HAEGEMAN, Liliane (1994): Introduction to Government & Binding Theory -
2nd edition. Blackwell, Oxford U.K & Cambridge U.S.A.
MOESCHLER, Jacques et Antoine AUCHLIN (1997): Introduction à la linguistique
contemporaine. Armand Colin, Paris, France.
VAN DER TOORN, M. C. (1987): Nederlandse taalkunde (7de druk). AULA (Het Spectrum),
Utrecht, Nederland.